Les toitures méditerranéennes comme lieux d’échanges, de vie et de rencontre
Avec l'urbanisation croissante, les villes sont aujourd’hui confrontées à de nombreux défis, tels que la densification, l'intensification des activités et donc le manque d'espace. Ce manque touche particulièrement les lieux de convivialité, de rencontre et d’échange qui entraîne une réduction des liens sociaux dans nos métropoles. Les habitants vivant dans des logements relativement petits, notamment dans les centres urbains denses, ont besoin d’espaces extérieurs pour améliorer leur cadre de vie et leur santé mentale. L’ouverture de toits comme espaces communs peut être une des réponses à ces problématiques. En transformant les toits en espaces publics, les villes pourraient offrir de nouveaux lieux de rencontre et de détente sans avoir besoin d'étendre leur surface au sol. Perchés en haut des immeubles ou des maisons, les toits offriraient un moment de répit face à l'agitation urbaine, grâce à la vue dégagée, au bruit atténué et à l’air plus frais.
Les toits comme lieux de rassemblement dans la médina de Tunis
Pour trouver de bons exemples d'utilisations sociales des toits, il suffit de regarder de l'autre côté de la Méditerranée. Et c’est ce que nous avons fait avec un groupe d'étudiants de l’Institut d'Urbanisme et d’Aménagement Régional (IUAR) l’année dernière, en partant pour Tunis. Une exposition de nos apprentissage se tiendra sur le toit du restaurant Moga lors du festival des toits marseillais le week-end du 12 octobre.
En Tunisie, et particulièrement dans la médina, les toits sont employés depuis des décennies comme lieux de rassemblement pour la famille et les amis, servant d’extension des logements des habitants. Historiquement, ces espaces ont été des lieux d’échange et de vie communautaire où les femmes discutaient entre voisines, lorsqu’elles allaient faire sécher leur linge, des aliments et épices, faire le couscous ou partager les denrées. Ainsi, les toits-terrasses sont devenus de véritables espaces de socialisation pour les habitants jusqu'à aujourd'hui, où différents groupes - hommes, femmes et enfants - se réunissent entre amis ou en famille, pour s’aérer pendant les périodes de fortes chaleurs, pour avoir un repas ensemble ou pour faire la fête.
Étant donné qu’historiquement, ces toits étaient souvent réservés aux femmes et offraient la possibilité de créer des solidarités et des échanges tout en restant à l'abri des regards, ces lieux semi-cachés sont devenus des "espaces sûrs" où elles socialisaient à travers diverses activités*.
Coco Velten : un tiers lieu social
Coco Velten était un projet novateur situé dans le quartier de Belsunce à Marseille. Ce projet avait été initié dans le cadre du programme "Lab Zero" de la Préfecture des Bouches-du-Rhône, visant à transformer un ancien bâtiment administratif en un lieu de vie et de travail multifonctionnel mêlant habitat social, atelier, bureau et cantine solidaire. En plus d'offrir un toit ouvert au public, le toit de Coco Velten avait une vocation véritablement sociale. Il était aménagé pour accueillir divers types d'activités. Des ruches ainsi qu’un jardin communautaire y avaient pris place avec des ateliers de jardinage, mais le toit était également devenu une pièce centrale du quartier en tant qu’espace de rencontre, d’échange et de repos privilégié pour les Marseillais voulant prendre de la distance avec l’intensité de la vie urbaine. Ce lieu était ouvert à toutes et tous, tout au long de la journée. Il accueillait aussi divers événements culturels qui ont participé à la cohésion sociale du quartier.
Lors des deux précédentes éditions du festival A Nous Les Toits, le collectif a investi le toit. Pour l’édition 2023, le toit de Coco Velten a accueilli une exposition qui mettait en avant les usages tunisiens réalisés par les étudiants de l’IUAR, un espace de sieste réalisé par des architectes ainsi qu’un prototype de dispositif anti-canicule. Fermé en 2024, ce bâtiment doit être réhabilité par Marseille Habitat. Étant bien conscient de la plus-value que le toit apportait aux résident·e·s et au quartier, il est probable qu'il réinvestisse dans un jardin partagé sur le toit.
Smartseille : favoriser les relations de voisinage
Dans les immeubles résidentiels, où les espaces partagés sont souvent rares et les interactions entre voisins limitées malgré leur proximité, les toits peuvent offrir une solution pour renforcer les liens de voisinage et devenir des lieux de rencontre pour les habitants. À Marseille, ce potentiel peut être illustré par le toit de Smartseille, un projet mixte combinant logements, y compris logements sociaux, bureaux et commerces.
Hanna Steyaert, Louis Carmona, 23/09/2024
Les toits-terrasses de Tunis sont des espaces hybrides, à la fois privés et publics, où les femmes peuvent se rassembler en toute sécurité et profiter de ces espaces de liberté. Aujourd'hui, cette dynamique soulève la question du rôle des toits comme un outil potentiel pour redonner de l'espace public aux femmes. Ce sujet, sur les femmes dans l'espace public et les toits comme "espaces sûrs" potentiels, sera exploré lors de l'Assemblée du Ciel sur le toit de Smartseille au moment du festival A Nous Les Toits où nous engagerons les résidents dans une conversation sur ce thème.
*source: livret ‘Le droit au ciel dans la médina de Tunis’, IUAR
La terrasse, d'une superficie de près de 500 mètres carrés adjacente à un local comprenant une cuisine et la maison de projet, est animée par l'association Chers Voisins. Pour que l’appropriation de la terrasse se fasse par les habitants, la gestionnaire animatrice de Chers Voisins a organisé, dès la réception de l'îlot, des moments de rencontre plusieurs fois par semaine. Un club jardin a été créé et des jardinières ont été ajoutées pour que les habitants puissent les investir. Des goûters et autres événements communautaires ont été organisés pour renforcer le lien social. Avec le temps, et grâce à la désignation des référents, le toit-terrasse s’est progressivement autogéré, avec des activités plus informelles et une implication croissante des habitants. Situé dans un quartier en pleine mutation, où les chantiers sont nombreux, les services encore rares et les espaces publics en cours de définition, le toit-terrasse offre un cadre apaisé aux habitants pour recréer du lien social. Cet exemple illustre le potentiel des toits-terrasses des immeubles d'habitation à devenir avant tout un lieu pour et par les résidents en favorisant les relations de voisinage.
L’aménagement des toitures en espaces communs constitue une solution innovante pour répondre aux défis de l’urbanisation. En transformant ces surfaces en lieux de rencontre, de détente et de convivialité, les villes peuvent offrir de nouveaux espaces de vie sans empiéter sur le sol disponible. L'utilisation des toits en Tunisie et les exemples marseillais illustrent comment les toitures peuvent devenir des centres de cohésion sociale et de bien-être. Ces espaces offrent une échappatoire à l'intensité de la vie urbaine, tout en renforçant les liens sociaux par des lieux de rencontre et d'échange. L’espace public n’offre pas toujours une place pour les femmes et les toits pourraient êtres ces espaces qu'elles pourraient s'approprier pour en faire des lieux apaisés. A travers cet article, nous voulons montrer qu’en intégrant les toits dans les stratégies d'aménagement urbain, nous pouvons bâtir des villes plus accueillantes, en favorisant le bien-être et les liens sociaux des habitants.